DÉVELOPPER UN JEU PAR ITÉRATIONS SUCCESSIVES

Développer un jeu de rôle est un processus long, complexe et laborieux. Si bien qu'il peut être difficile pour une seule personne de "tout garder en tête" et de réussir à conceptualiser l'expérience de jeu, approfondir l'univers, tester les mécaniques, etc. Par conséquent, il faut trouver le moyen de procéder étape par étape, en s'assurant de construire de solides fondations qui pourront ensuite être utilisées pour étendre la conception du jeu sur des bases saines. Pour ce fait, on effectue un développement par itérations successives. 


Que sont les itérations successives ?

L'idée est relativement simple et, je pense, reprise de la gestion de projet et spécifiquement, du développement informatique. Il s'agit de procéder à la création d'une structure de ce que l'on veut faire dans un premier temps. De tester celui-ci dans le but de vérifier son intégrité et l'améliorer éventuellement. Avant de passer à l'étape suivante, qui permettra de construire sur cette structure les éléments suivants dont ils sont dépendants.

Par exemple, on souhaite construire un corps humain opérationnel. Or il ne peut tenir debout sans squelette, ni muscle, ni nerfs. On peut donc dès lors envisager trois étapes majeures de développement : construire le squelette, ajouter les muscles, connecter les nerfs.

Ces trois étapes sont cependant complexes et requièrent une minutie et un travail tels qu'il n'est pas humainement possible de le concevoir intellectuellement en une seule fois sans erreur. C'est là que rentre en jeu le processus de développement par itérations successives. On va commencer par créer les os du pied gauche, puis on va tester leur structure. Une fois que celle-ci est solide, on passe au pied droit. Une fois celui-ci en état de marche (littéralement), on y ajoute un tibia et un péroné afin d'obtenir non plus des pieds, mais le bas des jambes. Et ainsi de suite jusqu'à ce que le squelette soit entier et opérationnel. On passe alors à la deuxième étape, les muscles, durant laquelle on reprend notre processus itératif.


Pourquoi le développement par itérations successives est important dans la création d'un JDR ?

Un jeu de rôle, avant d'être un ouvrage de règles avec de belles images et descriptions immersives, est le désir d'un concepteur de jeu de délivrer une expérience de jeu précise à des joueurs. Or, entre la vision de départ du concepteur et la création de l'expérience de jeu correspondante, il y a de très nombreuses étapes (et heures de travail) pouvant rapidement prendre une mauvaise direction. Si bien que sans vérifications et tests réguliers, les chances sont grandes d'obtenir une expérience complètement différente de celle recherchée.

En faisant un développement par itérations successives, on a la possibilité de faire des "pauses" régulière à des moments clés du développement, permettant de nous assurer que le prototype obtenu est en adéquation avec notre vision et notre cahier des charges. En d'autres termes, on s'assure à intervalle régulier, que la direction que l'on prend est bien en alignement avec la destination que l'on vise.


Entre idée et réalisation

Il faut savoir qu'avoir une excellente idée et avoir une excellente réalisation sont deux choses biens différentes. En effet, avoir une excellente idée réalisée de façon médiocre est probablement bien pire qu'avoir une idée médiocre avec une excellente réalisation. 

Pour prendre un exemple visuel, afin de traverser une rivière, deux constructeurs font un concours. Le premier est architecte et développe un pont suspendu magnifique. Cependant, il ne sait pas travailler le bois, ni tisser des cordes. Son pont, bien fragile, se distend sous son propre poids et se retrouve rapidement à moitié sous l'eau. Le deuxième est un bucheron. Il n'y connait rien en architecture, mais se dit que s'il arrive à accrocher des planches ensemble avec des cordes, il réussira bien à tendre quelque chose. Étant expert pour travailler le bois et tisser des cordes, il fait un pont suspendu grossier, mais qui fonctionne parfaitement.

Évidemment, on recherchera donc une bonne idée ET une bonne réalisation. La bonne idée donnant le potentiel et la réalisation donnant vie à l'idée.


Faire tester ses idées, c'est aider à une bonne réalisation

Avoir des idées de jeu est quelque chose de facile, savoir comment les transformer en expérience de jeu qui est appréciée des joueurs est quelque chose de bien plus ardu. Par conséquent, mon premier conseil est de faire valider ses idées le plus tôt possible dans le développement. Il faut les pitcher au plus grand nombre afin d'obtenir des retours sur son potentiel. Une fois validée de la sorte, l'idée peut être réalisée. Et de la même manière, dès qu'un premier prototype jouable est créé, il faudra le faire tester, là encore par le plus grand nombre.

De cette manière, on s'assure très tôt dans le développement que l'idée a du potentiel, qu'elle plait et que la réalisation apporte déjà une expérience de jeu appréciée. On évite ainsi de consacrer des dizaines ou des centaines d'heures de travail sur un projet qui va faire un pétard mouillé à cause d'un défaut central de conception, ou d'une idée qui ne plait pas.


Ces manquements qui tuent des jeux

À l'heure où j'écris ces lignes, j'ai eu la chance, ces 5 dernières années, d'avoir accès à, et d'avoir lu, près de 300 JDR de tout genre et de tout système. Et parmi eux, de nombreux jeux comportent des manquements qui les tuent (idées peu développées, thèmes abordés de façon superficielle, systèmes de jeu bancales, etc). On parle dans 80% des cas, de jeux qui ont été approuvés par une maison d'édition, ce qui n'est pas une mince affaire en plus de tout le travail que la création d'un JDR demande.

Qui n'a pas été hyped par de belles illustrations avant de se rendre compte que le jeu lui-même est creux et sans intérêt ?

Qui n'est pas tombé amoureux d'un univers complètement desservi par un système lourd et complexe ?

Qui n'a pas été convaincu par un système élégant, pour constater ensuite qu'il a été utilisé pour aborder des thèmes décorrélés et fades ?

L'exemple ultime que je garde toujours en tête, est un jeu demandant l'impression de nombreux livrets de personnage (non seulement les personnages meurent vite et souvent, mais en plus ils viennent avec un livret, pas juste une feuille) sans proposer une version print-friendly économique de ces livrets. Comment est-il possible que personne ne se soit rendu compte que peu seront les meneurs de jeu disposés à consommer toute l'encre de leur imprimante dans le but de faire une session de jeu ?

La réponse : personne n'a vraiment testé de monter une session ou une campagne en condition.

En s'arrêtant à chaque étape du développement pour faire un point, en faisant un passage systématique corrigeant ou améliorant ou validant le développement en cours, on s'assure que ce genre de manquement ne se produise pas.

Alors certes, cela prend du temps et donc des ressources, mais si cela peut sauver un jeu, ça vaut le coût de tester le concept.


Faire preuve de curiosité et d'humilité

La première chose à faire est de conserver une véritable curiosité pour ce que l'on construit. Il faut vraiment se convaincre que l'on ne sait pas tout, même s'il s'agit de notre idée et de notre réalisation. Il faut être ouvert aux nouveaux avis et surtout aux nouvelles perspectives (que l'on n'avait pas envisagées). C'est de cette manière que l'on peut améliorer notre craft. Obtenir une critique (constructive), se voir présenter un nouvel angle ou une nouvelle approche, une erreur que l'on avait survolé, etc, sont tous des trésors à chérir (et rapidement, à exploiter ou à corriger) : ils vont tous nous aider à améliorer l'expérience de jeu que l'on cherche à créer.

Cependant, pour que cela fonctionne, il faut aussi être capable de ranger sa fierté dans sa poche et d'être prêt à véritablement écouter et à recevoir des critiques. Il est généralement dur de présenter des idées et/ou des réalisations à des gens, parfois des amis, parfois des inconnus, dans le but d'obtenir des retours (qui ne sont évidemment, pas toujours constructifs ou polis, et parfois même simplement blessants). Il faut donc faire preuve d'humilité (et de volonté) : c'est le prix à payer si l'on veut développer un jeu irréprochable. Parfois, les critiques qui tapent là où ça fait mal, que l'on a le plus de difficultés à entendre et encaisser, sont celles qui sont les plus révélatrices des erreurs que l'ont a commis. Et donc les plus précieuses.

Et toi, qu'en penses-tu ?