COMMENT BIEN TERMINER UNE SESSION DE JEU DE RÔLE
La fin d'une session de jeu de rôle est souvent chaotique : le meneur de jeu a créé une situation de climax se finissant par un cliffhanger insoutenable ou une résolution épique et l'énergie des joueurs laisse doucement place à l'anticipation des événements à venir. C'est généralement à ce moment-là qu'on distribue les points l'expérience et que l'on plie boutique. Et si je te disais que l'on peut en tirer bien plus que cela ? Entrons dans le vif du sujet pour que tes sessions ne se terminent plus jamais comme avant !
Pourquoi bien finir est important ?
Dans le cas d'une session unique (one shot), soit le scenario a bien marché, soit il n'a pas plu. La fin a certes de l'importance, mais ne sauvera pas un scenario incohérent, mou ou inintéressant. On s'arrête donc quand le scenario est fini. Merci, de rien.
Dans le cas d'un short (entre six et dix sessions présentant les différents événements d'une même histoire) et d'une campagne (plus de 10 sessions), il est important de terminer chaque session de sorte que les joueurs aient envie de revenir. Sans cela, on prend le risque qu'ils décrochent petit à petit et que l'histoire reste inachevée, faute de protagoniste.
Donc bien finir sa session, c'est s'assurer que la session suivante démarre au quart de tour, sur un contenu narratif intéressant et captivant. Et ce, à chaque fois !
Quel est le meilleur moment pour arrêter une session ?
Cela dépend de plusieurs facteurs et principalement du meneur, de l'histoire qu'il souhaite développer et de la réception des joueurs à cette histoire.
Les cas classiques
Un meneur de jeu souhaite aborder durant sa session une certaine "quantité" de l'histoire. Il compte partir d'un point A, la situation initiale (généralement correspondant à la situation finale de la session précédente) et arriver, d'ici la fin de la session, à un point B (la nouvelle situation finale). L'intérêt de cette méthode est qu'un meneur de jeu peut jauger la quantité d'histoire délivrée pour qu'elle soit adaptée à ses joueurs. Le risque étant qu'il pousse ses joueurs dans une direction spécifique, ou force le scenario en les rabattant sur le fil rouge quand ils s'éloignent trop, pour atteindre la situation finale désirée dans les temps. Or, cela restreint directement la liberté d'action des personnages et des joueurs, ce qui est rapidement frustrant. Pour éviter cela, le meneur se doit d'accepter le fait que le point B ne sera probablement pas atteint et que les joueurs finiront au point C, c'est à dire une situation finale à laquelle il n'aura probablement pas pensé.
L'autre possibilité, à défaut d'atteindre un point spécifique de l'histoire, est d'arrêter la session à la fin d'un combat, d'un événement ou d'une scène. L'avantage est d'apporter un sentiment de conclusion aux joueurs ayant une résolution claire et mémorable sur laquelle il sera facile de reprendre au début de la session suivante.
Les cas à éviter
La première chose à éviter est d'arrêter la session de jeu quand les joueurs "en ont marre". Le but du jeu de rôle n'est pas d'achever nos joueurs, ni de les faire supporter une session "pour nous faire plaisir". S'ils nous donnent de leur temps, la moindre des politesses est de le respecter et de s'assurer qu'ils vont passer un bon moment. Une session où tout le monde décroche, ça arrive. C'est un échec de la partie, quelle que soit la raison et ce n'est pas la fin du monde. Par contre, il faut faire preuve d'humilité, le reconnaître et agir en conséquence, généralement en y mettant fin. Et ceci vaut tout autant pour le meneur que pour les joueurs, tous participants de cette narration partagée.
Une autre façon d'arrêter une session de JDR à éviter est de l'arrêter "quand c'est l'heure". C'est à dire que quand l'heure sonne, on arrête tout en plein milieu et on remballe. Ce qui n'est pas idéal. Par contre, c'est très différent de se mettre d'accord sur une heure de fin de session, afin de respecter les besoins et/ou demandes de chacun. C'est alors le rôle du meneur de construire un scénario qui tiendra sur le temps de jeu prévu, tout comme aux joueurs de l'y aider en étant proactif avec leurs personnages.
L'énergie de la table
On arrive aux techniques un peu plus avancées, demandant généralement plus d'expérience mais aussi de subtilité. Sentir l'énergie de la table, c'est être capable de faire preuve d'empathie avec les autres participants, c'est être capable de "lire" la table. Cela permet de savoir quand l'énergie est importante, ou que l'excitation monte, et quand elle est basse, ou que l'excitation redescend. Une énergie importante sera preuve de l'intérêt des joueurs au sujet des événements précis qui sont en train de se dérouler. L'idée est donc d'identifier ces événements et leurs constituants, afin d'être en mesure de les servir de nouveau, sous d'autres formes, dans les sessions suivantes. Attention cependant, il n'est ni possible, ni souhaitable, d'avoir une énergie haute tout le long d'une session. Il faut savoir aménager des moments d'énergie basse, de pause en quelque sorte, afin que les joueurs puissent se remettre de leur émotion. C'est ce qui créé le fameux roller coaster émotionnel, rendant ces différents moments appréciables, quelle que soit l'énergie correspondante.
Un secret entre nous : les joueurs sont généralement très excités par l'application de leurs propres idées. Encore une raisin de laisser les joueurs s'investir dans la narration en leur laissant une grande liberté d'action.
Le cliffhanger
Le fameux cliffhanger est généralement une révélation ou un déclencheur qui va mettre (métaphoriquement) une grosse claque aux joueurs et à leurs personnages, faisant ainsi décoller l'énergie en fin de session. Pour ce faire, il va généralement révéler un élément majeur inconnu jusque-là (même s'il a été suggéré précédemment) venant changer de façon notable la compréhension et/ou l'angle de perception des événements précédents (durant la session pour de petits cliffhanger, ou durant l'histoire pour des cliffhanger majeur), ou alors il va simplement mettre les personnages et leurs joueurs dans une situation nouvelle dont ils devront se dépatouiller (et donc leur donner du grain intellectuel à moudre d'ici la prochaine session s'ils veulent s'en sortir). Donc quand c'est possible, caler un cliffhanger en fin de session de temps en temps rendra une campagne d'autant plus excitante et mémorable. Mais c'est comme tout : il ne faut pas en abuser, sinon les joueurs vont l'appréhender, ce qui va drastiquement réduire son effet.
La note positive
L'idée de ressentir l'énergie des joueurs s'applique techniquement à tout moment d'une session, un meneur de jeu devrait toujours garder une oeil sur ses joueurs et lire sa table. Cependant, savoir terminer sur une note positive, avec ou sans cliffhanger, quand l'énergie est relativement haute, est très important. Pour cela, on va donc repérer un pic d'énergie en fin de partie et s'arrêter juste après, avant que l'énergie ne redescende complètement. Le reste de cette énergie "descendante" est toujours utilisée par les joueurs pour discuter de la session, faire du theory crafting, réfléchir à la suite des événements, ou juste socialiser un peu plus. C'est d'ailleurs un excellent moment pour demander des retours des joueurs sur les différents éléments du jeu (Aiment-ils le système de jeu ? Trouvent-ils l'histoire intéressante ? Ont-ils apprécié cette interprétation ou ce PNJ ? etc). C'est moins drastique qu'un cliffhanger, mais sera très bénéfique sur le long terme tout en pouvant être utilisé à toutes les sessions, contrairement à ce premier.
Le cliffhanger "inversé"
C'est une technique à utiliser avec des pincettes, mais qui vient renforcer l'ensemble des techniques vues jusque-là et donc l'approche générale de fin de session. En effet, on vient jouer au jeu de rôle avant tout pour s'amuser. C'est la raison pour laquelle l'émotion principale que l'on cherche à mesurer est l'excitation et l'amusement des joueurs. Mais si l'ont veut véritablement un jeu riche, une campagne qui laissera des souvenirs et qui sera intense, il est nécessaire de s'intéresser à toute la palette des émotions humaines. Ainsi, le cliffhanger "inversé" s'intéressera avant tout aux émotions "négatives" comme la tristesse, la colère, l'incertitude, etc. En mixant ce dernier avec les autres méthodes de façon parcimonieuse, on s'assure que les joueurs ne savent jamais sur quel pied danser et qu'ils ne sont pas en mesure de pressentir comme les choses vont finir. L'idée derrière est simple : le bonheur n'existe pas sans la tristesse, la joie sans la colère, la confiance sans le doute, etc. En les apportant en jeu, on améliore le contraste émotionnel de la narration.
La pseudo conclusion
En conclusion, il faut savoir s'arrêter sans avoir tout donné au joueur. La beauté du cerveau humain est qu'il est câblé pour construire des modèles du monde, pour comprendre son environnement et lui donner du sens. C'est un processus inconscient, automatique, continuel. C'est-à-dire que si l'on voit deux points, on va tracer la ligne qui les relie. Si on en voit trois, il va tracer un triangle et ainsi de suite. En laissant quelques zones d'ombre, quelques pistes inexplorées, un angle de vue jusque-là non abordé, on donne aux (cerveaux des) joueurs une excellente base sur laquelle leur instinct (et leur dopamine) va construire un modèle du jeu et des événements qui s'y sont produits dans le but de leur donner une explication logique. Si en tant que meneur, tu arrives à cela avec tes joueurs, tu as tout gagné.